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L’adolescent
entre psyché et soma
lescent comme une tentative d’aménager L’ part d’entre nous la véritable ren- ce nouvel espace familial ; et ceci du fait tion du statut de celui-ci et de son appar- tenance. Jusqu’alors en effet, aussi essen- parricidaire avec les parents, qu’introduit l’organisation de la personnalité, le corps miliarisation est nécessaire pour intégrer fait partie des données qui s’imposent à ce corps pubère. Celui-ci est vécu d’une l’enfant comme un élément constitutif de fois de conflits, mais dont l’individualité et l’originalité n’apparaissent pas comme corps propre de l’individu. Plus les ado- puberté que naissent les premiers senti- tionnels avec leurs parents, plus il y aura ments d’étrangeté à l’égard du corps pro- pre et que se font jour les premières in- terrogations sur les liens entre le sujet et un corps étranger. C’est compréhensible, son corps. En effet, avec la puberté, la na- parce que le corps c’est ce qu’on n’a pas ture nous donne un corps qui devient apte choisi d’avoir ; il nous vient des parents ; à réaliser les pulsions : agressivité, pul- c’est le lieu de l’expression des ressem- sions sexuelles ; il y a là quelque chose blances avec les parents ; c’est le fruit de qui a un effet considérable sur l’appareil l’union des parents. Au fond, c’est le vécu de l’héritage, du destin, qui est ainsi vé- luctable ne doit pas faire oublier le carac- tère potentiellement traumatique. Ceci estsouvent plus frappant d’ailleurs chez lesfilles que chez les garçons et va entraî- Le corps : théâtre des
ner des expressions de cette crise un peu modifications de l’adolescence
Il faut recréer une nouvelle distance au Le corps est l’élément pivot de l’adoles- cence. C’est sa transformation sous l’ef- actualité et dossier en santé publique n° 10 mars 1995 page XXXVI
puberté qui introduit les changements de de ce qui fait le plus violence à l’adoles- l’adolescence. Le corps de l’adolescent cent, à savoir la nécessité dans laquelle révèle les particularités de son statut psy- chique. Il participe intimement de la vie • il n’est plus l’écran protecteur der- ombilical, se détacher du corps maternel psychique. Il en est un révélateur et un rière lequel l’enfant peut cacher pensées pour conquérir une identité qui ne va pas des moyens d’expression privilégié. Il ne et désirs, mais devient la scène sur la- de soi. On y trouve condensée l’impor- saurait cependant se confondre avec elle.
Sa matérialité, la distance que la cons- trouble révèlent ses émois et ses désirs les cience réfléchie peut prendre par rapport cients, ici de maintien du lien maternel.
à lui le rapprochent de la réalité externe ; • il est le terrain privilégié de concré- « la réalité, c’est ce qui résiste », écrivait tisation et d’étalage de l’héritage des pa- Jaspers. Le corps résiste, et c’est peut-être cette période de la vie peuvent être ana- ce qui explique qu’il soit si fréquemment lysés sous l’angle de l’expression d’une sollicité quand l’identité est mise à point que l’adolescent peut ne plus savoir duit à rejeter une part de lui vécue comme Ce corps étranger, qui perd avec l’ado- une aliénation possible à ses objets d’at- que interne et à la réalité externe lui lescence sa familiarité, qu’il va falloir confère une place privilégiée dans l’or- réapprendre à aimer et à assimiler à son rejet contribue à lui permettre de s’affir- ganisation et l’expression des manifesta- mer en une identité négative qui ne de- tueux, porteur des désirs du sujet, fruit de vrait rien aux personnes investies. Ce pro- l’union des parents et création du sujet cessus de rejet et de réappropriation dans premier plan. C’est évidemment tout par- lui-même. Ce fut la tâche de toutes les ci- ticulièrement le cas à l’adolescence. Il est vilisations de contribuer à apporter des son ensemble, la pensée, ou tel ou tel élé- partie intégrante de la représentation de solutions groupales et sociales à cette pro- ment du corps, telle ou telle fonction ou soi, mais en même temps il est perçu par blématique de l’émergence d’un corps capacité. Il peut être extensif, s’étendre la psyché comme corps étranger, dans la apte à agir les pulsions et de la nécessité en tache d’huile ou se focaliser à chacun mesure où il échappe à son contrôle et la de ces éléments. Mais il est un point com- plonge dans une situation de passivité. La liens de l’enfance. Elles l’ont fait notam- mun à ces différentes manifestations qui ment par l’intermédiaire des rites de pas- autorise à les regarder comme participant transformations du corps qu’elle suit ou sage qui sont l’expression sociale de ce d’un même processus, c’est que la partie du sujet qui est ainsi attaquée et rejetée ne décide pas : les règles, les premières chaque adolescent. On peut d’ailleurs être est toujours un élément antérieurement éjaculations, les caractères sexuels secon- frappé que tous ces rites de passage se tra- investi et qui l’est en fonction d’un lien daires, autant de « réalités » qui s’impo- duisent toujours par une inscription cor- avec un des objets d’attachement privi- sent à elle. Il y a dans cet écart psyché/ légié du sujet. Ce qui est alors rejeté, c’est soma, tel qu’il se révèle crûment à l’ado- essentiellement ce lien en tant qu’il est lescence, les prémices d’un possible cli- ainsi stigmatiser la coupure d’avec l’en- vécu comme la manifestation d’une dé- fance et l’affiliation au groupe des adul- pendance dangereuse à cet objet et l’ex- pression d’un pouvoir aliénant possible révélateur de l’ananké : cette nécessité corps propre, voire d’auto-engendrement, qui s’impose à l’adolescent sans se sou- cier de ses désirs propres ; nécessité de touages, attributs divers…) que l’adoles- la sexuation, c’est-à-dire d’appartenir à cent y inscrit et qui signent sa nouvelle Revendiquer le droit à la
un des deux sexes ; nécessité de se sou- différence
mettre aux apparences corporelles, héri- tage des parents ; nécessité de s’inscrire moins collectives (bandes, sectes…). En même temps que l’appartenance, la mar- Mais qui plus est le corps de l’adoles- que corporelle signe la rupture et la cou- jeurs, le corps peut servir à assurer le pure d’avec le monde antérieur, celui de maintien d’une identité défaillante. Il • il échappe au pouvoir de maîtrise du rents. Il nous paraît probable qu’il faille cation du droit à la différence est un des la phase de latence, en étant le lieu essen- voir dans la violence exercée sur ce corps moyens privilégiés dont dispose l’adoles- tiel d’expression des transformations de qui accompagne, même très atténuée, ces la puberté, effets de la physiologie et non rites de passage, la tentative de figuration actualité et dossier en santé publique n° 10 mars 1995 page XXXVII
ment. C’est un des points où l’influence importante et peut permettre de saisir les vilégié à la disposition de l’adolescent pour l’aider à trouver une issue à son malaise identificatoire. Le risque de cette l’adolescence. Ce droit à la différence inscription corporelle des difficultés de s’est essentiellement exprimé dans les l’adolescent est double. Elle se fait tou- années 50 et 60 par le biais de la reven- jours sur le mode négatif de l’attaque du dication d’une sexualité différente.
corps et contribue ainsi à dévaloriser et Actuellement, il s’est déplacé sur le droit marginaliser davantage l’adolescent. Elle à disposer de son corps à sa guise, jus- contribue à renforcer la méconnaissance ques et y compris dans ces formes extrê- des conflits de l’adolescence et le sens de mes que sont le droit à le maîtriser ou à le détruire telles que : le droit au suicide, expression corporelle est davantage le fait des filles que des garçons et que le pro- ses attaques contre le corps et sa recher- nostic en est habituellement plus sévère che d’enlaidissement, les multiples for- mes de soumission et d’offrande du corps chercher la raison dans le fait que la fille est plus intériorisée et qu’elle possède un corps semblable à celui de la mère, ce qui souvent peu symbolisées de mutilation du peut faciliter l’expression au niveau du corps des conflits d’identification. L’uti- lisation de cette voie par le garçon ren- voie à une identification féminine impor- tante qui le met en contradiction avec son ceux à expression corporelle essentielle, identité et pourrait rendre compte de sa n’occupent pas cette fonction de rite.
plus grande sévérité en mettant en cause venue maladie et une forme socialemententendue et reconnue du malaise indivi-duel. Par là, l’adolescent sort de sa soli-tude et finit par obtenir une réponse del’entourage social sinon de sa famille di-recte. Mais en s’installant, le trouble perdsa valeur relationnelle de communicationavec les autres et de cri de détresse etd’alarme, de rite encore socialisé, provo-quant et sollicitant l’adulte, il se trans-forme en un rituel conjuratoire qui finitpar s’enfouir dans le corps et devenir in-déchiffrable. Le trouble devient une com-mémoration indéfinie de l’alliance ratéeentre l’adulte et l’adolescent, au traversde la répétition monotone des mêmestroubles, des mêmes conduites patholo-giques dans une sorte de ritualisation in-terminable qui caractérise la psychopa-thologie de l’adulte. Le trouble ne repré-sente plus alors qu’un rite personnel qui Philippe Jeammet
n’est plus lié au consensus social, un acte « insensé » qui ne peut plus être reconnu trie de l’adolescent et du jeune adulte, Hôpital international de l’Université de biologique ayant même cessé de poser la actualité et dossier en santé publique n° 10 mars 1995 page XXXVIII

Source: http://www.lepsydupre.fr/sites/default/files/jeammet%20corps%20ado.pdf

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