LA RÉVOLUTION NEUROLEPTIQUE, LE CONGRÈS DE 1955
Il y a maintenant un demi-siècle s’est tenue, à Paris, à l’hôpital Sainte-Anne, la pre-mière réunion internationale consacrée à l’introduction en thérapeutique psychiatri-que des deux premières molécules à activité neuroleptique, la chlorpromazine en 1952,puis la réserpine en 1954. Il n’est pas sans intérêt de rappeler comment ces médicamentsinnovants ont été découverts, et leurs propriétés spécifiques reconnues.
La chlorpromazine est une phénothiazine chlorée à chaîne aliphatique. Sa syn-
thèse par Charpentier en décembre 1950 et la décision de son étude clinique entraientdans le cadre de recherches menées au laboratoire Rhône-Poulenc dans le but de trou-ver un produit possédant une activité centrale plus puissante et plus sélective que celled’une autre phénothiazine, la prométhazine (Phénergan®), synthétisée antérieurementdans ce laboratoire, et dont Laborit avait montré l’intérêt comme potentialisateur desanesthésiques dans la prévention du choc opératoire. Laborit et ses collaborateursseront les premiers utilisateurs de la chlorpromazine, qu’ils associent à la prométha-zine et à la péthidine dans un cocktail médicamenteux destiné à la pratique de l’hiber-nation artificielle. Toutefois ces auteurs signalent, dans une publication de février 1952,que la chlorpromazine injectée seule produit un curieux effet de « désintéressement »,et suggèrent une extension des indications à la psychiatrie.
Dans une série de communications portant sur une quarantaine de patients (mai-
juillet 1952), Delay et al. vont poser les principes de la cure en monothérapie chez lesmalades mentaux et préciser les indications. Outre une efficacité symptomatique remar-quable sur l’agitation, la chlorpromazine s’avère posséder une activité spécifique vis-à-vis des psychoses aiguës (états maniaques, confusion mentale, épisodes délirants) ;par contre chez les déprimés, l’activité du produit est très inconstante. Ces résultatssont rapidement confirmés par d’autres auteurs, mais la première étude consacréeaux psychoses schizophréniques ne paraît qu’à la fin de 1953 : menée par Labhardt àBâle sur plus de 200 patients, elle met en évidence l’efficacité du produit sur ces psy-choses chroniques, surtout dans les formes paranoïdes et catatoniques.
La réserpine est un alcaloïde extrait de la racine de Rauwolfia Serpentina. Cette
plante qui pousse sur les contreforts de l’Himalaya était utilisée depuis longtemps parla médecine ayurvédique dans le traitement de la folie. Sen et Bose, utilisant des extraitsde la racine, réalisent en 1931 le premier essai clinique. Ils mettent en évidence, outreun effet hypotenseur, une efficacité sur les états d’agitation avec symptômes maniaques,alors que la médication s’avère contre-indiquée dans les formes « moroses » d’aliéna-tion. D’autres études, dont celle de Gupta en 1943, confirment ces premiers résultats. Psychiatries dans l’histoire, J. Arveiller (dir.), Caen, PUC, 2008, p. 233-240
Mais les travaux des psychiatres indiens n’eurent guère de diffusion, et il fallut atten-dre l’utilisation extensive de Rauwolfia dans le traitement de l’hypertension pour quel’on redécouvre en Occident son activité psychotrope. C’est surtout l’identificationen 1952, par les chercheurs du laboratoire Ciba, de l’alcaloïde le plus psychoactif deRauwolfia, la réserpine, qui va permettre la mise au point des posologies psychiatriques(5 à 10 fois supérieures à celles utilisées dans l’hypertension), et la réalisation d’essaiscliniques plus rigoureux qu’avec les extraits de composition variable. Dès 1954, on meten évidence son effet sédatif puissant (N. Kline) et son efficacité dans les états psycho-tiques aigus ou chroniques (Delay et al., Weber, Noce et al.).
Fin 1954, une publication de H. Steck va marquer une étape majeure dans l’his-
toire des antipsychotiques. L’auteur attire alors l’attention sur une des propriétés com-munes à la chlorpromazine et à la réserpine : celle de provoquer des manifestationsneurologiques à type de syndromes parkinsoniens ou d’impatiences motrices (aka-thisie), qu’il rapproche des syndromes parkinsoniens et akathisiques observés dansles séquelles de l’encéphalite épidémique 1. Il rappelle que des cas de schizophrénieavaient été améliorés par la survenue d’une encéphalite de Von Economo. Les effetsneurologiques de la chlorpromazine et de la réserpine leur ayant paru spécifiques,Delay et Deniker proposent peu après, pour cette nouvelle classe de médicaments, ladénomination de « neuroleptique » (« qui prend le nerf »). Cette dénomination va êtrerapidement adoptée par la communauté internationale, à l’exception toutefois des USA,où on lui préférera celle, pourtant ambiguë, de « major tranquillizers ». Le colloque d’octobre 1955 : participants et thèmes
Ce colloque était la première occasion d’une rencontre internationale où puissent seconfronter, avec un peu plus de trois années de recul, les résultats des chercheurs etles pratiques des cliniciens. Il donnera lieu à 147 communications, rassemblées dansun volume de 982 pages de la revue L’Encéphale. Une vingtaine de pays étaient repré-sentés. Les travaux rapportés provenaient, pour leur très grande majorité, d’investi-gateurs européens, notamment français, suisses, allemands, italiens. On peut noter lafaible participation numérique des anglophones. En Grande-Bretagne, les publica-tions initiales des auteurs français sur la chlorpromazine avaient été accueillies avecun certain scepticisme. La première publication en langue anglaise ne paraîtra qu’enmars 1954, dans les Archives of neurology and psychiatry. Elle est due à des auteurs cana-diens travaillant à Montréal : Lehmann et Hanrahan. C’est cette publication qui a faitconnaître le produit en Amérique du Nord.
On peut avoir une idée de la diversité des thèmes abordés au cours du colloque,
à la lecture des têtes de chapitre inscrites à son programme :
L’encéphalite léthargique ou maladie de Von Economo se manifesta, à partir de 1916, pendant une décen-nie. Elle laissait des séquelles neurologiques et psychiques. Les lésions en étaient sous-corticales.
La Révolution neuroleptique, le congrès de 1955
« Méthodes d’administration. Posologie et durée des cures », « Associations théra-
peutiques », « Indications et contre-indications. Résultats », « Comparaison des premiersneuroleptiques entre eux », « Effets neuro-physiologiques et psycho-physiologiques »,« Effets secondaires ; symptômes extra-pyramidaux induits », « Hypothèses concernantle mode d’action et remarques méthodologiques.
Certains des thèmes débattus lors de ce colloque alimenteront encore, pendant des
décennies, discussions et controverses. Posologie et durée des traitements
Les premiers traitements par la chlorpromazine concernaient des états d’agitation etdes psychoses aiguës. Les doses étaient modestes et les cures assez courtes ; 150 mg enintra-musculaire pendant quelques jours ou quelques semaines, puis relais par la voieorale (200 à 300 mg), pour une durée totale d’administration d’un mois en moyenne.
Dès que l’on a commencé à traiter des psychoses chroniques, on a dû, pour être
efficace, recourir à des doses plus élevées. Lors du colloque, la plupart des auteurs ontfait état de doses allant de 300 à 600 mg per os. Toutefois, certains vont au-delà si besoin,parfois jusqu’à 1 gramme. Pour la réserpine, les doses généralement admises se situententre 5 et 15 mg.
Dans les schizophrénies et les délires chroniques, l’utilité des cures prolongées est
admise par tous, à la fois pour parfaire des améliorations qui peuvent mettre long-temps à se manifester, et pour éviter des rechutes à l’arrêt du traitement. La nécessitéd’une cure d’entretien paraît bien établie. Pourtant, G. Schneider, qui a suivi un groupeimportant de femmes schizophrènes à Lausanne, est le seul à aborder un problème,qui s’avérera par la suite essentiel : celui de l’observance. Il le fait en des termes quinous paraissent encore d’actualité :
Dans les situations extra-hospitalières, il dépend surtout de l’entourage que la médi-cation soit poursuivie. Les malades elles-mêmes font souvent preuve d’insouciance,négligeant le traitement. Un petit nombre se préoccupe de garder le contact avec lesmédecins de l’hôpital et s’astreint à un contrôle. D’autres cessent de prendre le médi-cament parce qu’elles n’en mesurent pas la nécessité ou parce qu’elles renient la mala-die… Sur 70 schizophrènes subchroniques ou chroniques, qui purent quitter l’hôpital,44 ont interrompu, de leur propre chef ou contre l’avis médical, la médication. Les26 autres ne continuèrent la cure que sous l’influence des mesures d’assistance ou paresprit de collaboration avec les médecins. Principales indications
II s’agissait évidemment du thème majeur du colloque. On peut souligner le consen-sus quasi-général sur trois points :
1. l’efficacité remarquable des neuroleptiques dans tous les états psychopatholo-
giques ayant un caractère d’acuité : états maniaques, confusion mentale, psychoses
aiguës et, d’une façon plus générale, tous les états d’agitation, que celle-ci soit indivi-duelle ou qu’elle soit collective comme on l’observe encore souvent à cette époque danscertaines structures asilaires ;
2. leur activité thérapeutique dans la schizophrénie et les délires chroniques (psy-
choses hallucinatoires chroniques, psychoses interprétatives). Une dizaine d’études,portant sur un nombre important de patients suivis au long cours, confirme les don-nées initiales de Labhardt. Le pourcentage d’évolutions favorables est plus élevé dansles formes paranoïdes que dans l’hébéphrénie ou la schizophrénie simple. Le bénéficethérapeutique est largement fonction de la durée d’évolution : les résultats sont bienmeilleurs dans les formes d’évolution relativement récente que dans les cas très chro-nicisés. Il y a cependant des patients internés depuis dix ans et plus, qui ont pu quitterl’hôpital et retrouver une vie sociale. Pour l’ensemble des auteurs, la cure neurolepti-que est désormais le traitement à choisir en première intention dans les psychosesschizophréniques et les délires chroniques ;
3. leur inefficacité dans la dépression mélancolique. Si la chlorpromazine peut cal-
mer la dimension anxieuse, elle n’atteint pas le noyau dépressif. En ce qui concerne laréserpine, plusieurs auteurs signalent son effet parfois dépressogène, ce que les auteursindiens avaient déjà repéré. En 1955, deux ans avant la découverte de l’activité anti-dépressive de l’imipramine et de l’iproniazide, le recours à la sismothérapie demeure,de toute évidence, nécessaire dans la majorité des cas. Effets secondaires et tolérance
En 1955, on estime qu’environ cinq millions de patients ont, de par le monde, déjà reçude la chlorpromazine, dont deux millions aux USA. De nombreuses publications ontété consacrées aux effets secondaires et aux accidents du produit.
P. Lambert et ses collaborateurs en font dans ce colloque une revue exhaustive.
Les effets latéraux le plus souvent rapportés sont : l’hypotension orthostatique, lestroubles neurologiques (syndromes parkinsoniens) et les atteintes cutanées (lucites,allergies) ; mais on signale également la prise de poids, la galactorrhée, la constipa-tion… Les décès imputables au médicament paraissent exceptionnels (ictère grave,embolie pulmonaire, agranulocytose). Il n’y a pas de décès lors d’ingestion massivepar des patients suicidaires. Il n’y a pas non plus d’accoutumance.
On n’avait pas encore observé les deux complications qui seront ultérieurement
la préoccupation majeure des cliniciens : le syndrome malin des neuroleptiques, iden-tifié en 1960 par Delay et Deniker ; les dyskinésies tardives dont les premières descrip-tions sont dues à Shonecker (1957) et ont Sigwald (1959).
La faible toxicité de la chlorpromazine et des neuroleptiques (phénothiazines ou
butyrophénones), mis rapidement sur le marché, va permettre leur utilisation exten-sive dans les services de psychiatrie où ils vont supplanter les traitements biologiquesutilisés jusqu’alors dans la cure des psychoses aiguës et chroniques. C’est la fin de lacure de Sakel, la réduction massive des indications de sismothérapie et de psychochi-
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rurgie. En contrepartie, c’est aussi la maniabilité, la relative innocuité des neurolep-tiques qui va « autoriser » leur fréquent mésusage : ainsi, les « mégadoses » (aux USA,on est allé jusqu’à 5 grammes par jour de chlorpromazine, ceci dès 1955), les indica-tions trop extensives, les associations aberrantes (4 ou 5 neuroleptiques dans la mêmeordonnance). C’est également le risque de dyskinésies tardives, dont les cliniciensprendront tardivement conscience, qui amènera à mieux codifier les modalités de lacure neuroleptique (indications, posologies, associations).
Malgré son indéniable activité antipsychotique, soulignée par de nombreux par-
ticipants du colloque, la réserpine n’a pas été longtemps utilisée en psychiatrie. Sa tolé-rance était médiocre. La fréquence de l’asthénie, de l’akathisie et des états dysphoriques,la survenue d’épisodes mélancoliques, lui ont fait rapidement préférer les nouveauxneuroleptiques qui arrivent sur le marché (Nozinan®, Haldol®, Majeptil®). Son utilisa-tion, mais à doses faibles, dans l’hypertension, aura une durée beaucoup plus longue.
La réserpine, qui a joué un rôle majeur dans l’histoire des neuroleptiques, avait
un mécanisme d’action original. Elle entraînait une déplétion des monoamines céré-brales (sérotonine, noradrénaline, dopamine), et son activité antipsychotique étaitdue à une diminution des transmissions dopaminergiques centrales. La chlorproma-zine, comme tous les neuroleptiques utilisés par la suite, agit en bloquant les récep-teurs dopaminergiques D2. En 1955, la dopamine n’était pas encore considérée commeun neuromédiateur à part entière. Il faudra attendre les travaux de Carlsson (1963),puis de Seeman (1975) pour que soit envisagée l’implication de la dopamine dans lespsychoses schizophréniques. Discussions et controverses
Il n’y eut, au cours du colloque, qu’une critique d’ordre méthodologique, Elle émanede Mayer-Gross (Birmingham), et concerne la procédure « ouverte » des essais clini-ques. Cet auteur rappelle les effets spectaculaires que peuvent avoir des placebos surdes malades psychiatriques, et plaide pour des essais « strictement comparés et aveu-gles » dans l’étude des neuroleptiques. Il est certain que, lors de leur introduction enthérapeutique psychiatrique, l’évidence clinique de leur efficacité était telle que l’onse préoccupât peu d’en faire la démonstration rigoureuse. C’est seulement dans ladécennie 1960-1970 que se mettront en place les grandes études contrôlées apportant,s’il en était besoin, la « preuve scientifique » de leur activité antipsychotique.
Lors du colloque d’octobre 1955, la communication de l’Anglais D. Watt a été la
seule à ouvrir la voie à ce type d’études. Son essai contrôlé et en aveugle, mené sur desschizophrènes internés depuis 15 ans en moyenne, montrait une efficacité de la chlor-promazine significativement supérieure à celle de la réserpine ou du placebo, ainsiqu’une meilleure tolérance de la chlorpromazine.
En 1955, l’existence d’une interdépendance entre chimiothérapie neuroleptique et
techniques psycho et sociothérapiques était déjà clairement apparue, la première facili-tant les secondes et ces dernières agissant à leur tour sur la pratique de soins. Racamierinsiste sur l’intérêt des cures neuroleptiques prolongées dans les états schizophréniques :
La chlorpromazine agit dans le même sens que la psychothérapie, la facilitant sanstoutefois pouvoir la remplacer [.]. Son effet fondamental est de faciliter voire mêmede restaurer les relations interpersonnelles du malade.
Les tenants des techniques institutionnelles (Sivadon, Le Guillant, Tolsma) sou-
lignent le changement d’atmosphère des services, et les possibilités accrues d’activitésde groupe et d’ergothérapie. Rendant compte des acquis comme des perspectives, Per-rin et Toulet concluent :
La chlorpromazine est venue nous apporter de quoi faciliter à moindre effort, à moinsde frais, cette désaliénation qui, à travers le comportement des malades, atteint lepavillon lui-même, son ambiance, son décor, sa qualité de milieu thérapeutique et, ànouveau, atteint le malade en retour [.]. Il convient cependant d’insister sur l’impor-tance capitale que prend, dans la sortie des malades chroniques, le travail de défrichagesocial : contacts avec la famille qu’il faut parfois rechercher, préparation des conditionsde sortie tant du côté psychologique que du côté matériel (réadaptation professionnelle,réintégration du malade dans sa famille). Il est en outre indispensable de confier lemalade à la surveillance effective d’un médecin et d’une assistante sociale, et de le revoirrégulièrement pendant plusieurs mois. L’amélioration progressive de ces techniques depost-cure permettra, nous l’espérons, d’accroître encore le pourcentage de nos succès.
Le problème des associations médicamenteuses a suscité beaucoup d’interventions.
Faut-il se limiter à la monothérapie neuroleptique, ou faut-il garder une place à la curede sommeil associant à la chlorpromazine des sédatifs barbituriques, de la prométha-zine (Phénergan®), etc. ? Telle était la question qui se posait en 1955, notamment enFrance où beaucoup s’inspiraient des travaux de Laborit sur l’hibernation artificielle. À la lecture des comptes rendus, la tendance qui se dégage est de réserver la cure de som-meil aux troubles psychonévrotiques ou psychosomatiques, la monothérapie neurolep-tique s’imposant dans les psychoses chroniques. L’introduction des antidépresseurs etdes benzodiazépines allait rapidement mettre fin à la pratique des cures de sommeil.
Il apparaît ainsi que ce colloque de 1955 ne s’était pas limité à synthétiser ce qui,
après trois années d’expérience des premiers neuroleptiques, avait alors marqué clai-rement les esprits. C’est-à-dire, pour l’essentiel, un bouleversement des moyens thé-rapeutiques face aux fléaux qui avaient longtemps miné l’atmosphère des services desoins : l’agitation, individuelle mais également collective, ainsi que le poids des patho-logies psychotiques les plus lourdes.
Par ailleurs, exemple de dépassement d’un moyen technique par ses conséquen-
ces, l’emploi de ces médicaments novateurs devait rapidement entraîner des rema-niements majeurs dans les modalités de prise en charge des patients, ainsi que dans lastructure même des systèmes de soins en psychiatrie.
En tout premier lieu, avait été perçu le changement d’atmosphère des services
hospitaliers. Cette transformation était liée essentiellement à l’amélioration du com-portement des patients « difficiles », dont témoigna d’ailleurs la disparition rapidedes pavillons « d’agités ». À ce sujet, il faut souligner la remarquable contributionapportée par W. Overholser qui fut, lors de ce colloque de 1955, le premier des rap-
La Révolution neuroleptique, le congrès de 1955
porteurs américains à souligner, de façon prémonitoire, l’action de la chlorpromazine« sur l’hôpital tout entier », ce qui à ses yeux devait entraîner de surcroît une transfor-mation de l’opinion publique à l’égard de la psychiatrie et, à terme, faciliter la réin-sertion des malades mentaux dans la société.
De plus, l’action pharmacologique des premiers neuroleptiques permettait, désor-
mais, d’appliquer avec une meilleure efficience les autres techniques de soins, psycho-thérapiques et sociothérapiques.
Les infirmiers s’étaient sentis devenir des soignants à part entière. Ainsi, une théra-
peutique médicamenteuse, au départ « la plus indifférenciée quant aux indications »(Achaintre et Balvet) venait, désormais, imposer la pratique d’une psychiatrie indivi-dualisée.
Il en résultait également un remaniement dans la symptomatologie et l’évolution
des psychoses : réduction des formes hallucinatoires et délirantes, dont l’expressionavait été jusqu’alors prédominante ; fragmentation du cours des psychoses chroni-ques. Mais aussi, par ailleurs, une extension des « comportements de passivité » quefavorisait, à plus long terme, l’emploi des neuroleptiques « de première génération ».
Le développement de nouvelles structures de soins fut, clairement, favorisé par les
divers éléments précédents. Ce n’est pas un hasard si c’est justement en 1955 qu’appa-raissent les consultations dites « de post-cure », et que s’ouvrent les premiers dispen-saires extra-hospitaliers spécialisés. Un peu plus tard sera affirmée la nécessité de leuradjoindre des hôpitaux de jour, des foyers de post-cure, et des centres de réadaptationau travail : programme que viendra concrétiser en France, par la suite, une circulaireofficielle, proposant la création des « secteurs » d’hygiène mentale, fondements d’unéquipement structuré des prises en charge.
Sans s’être voulu pour autant « athéorique », le colloque de 1955 était resté large-
ment dominé par l’emprise de la clinique. C’est pourtant à partir de l’expérience alorsrelatée, que nous pouvons discerner le point de départ de plusieurs orientations quiallaient se confirmer au cours des années à venir, notamment :
– la réintégration plénière, parfois controversée jusqu’alors, de la psychiatrie dans
– le développement de toute une séquence d’études originales : ainsi, l’essor d’une
psycho-pharmacologie prévisionnelle, apte à sélectionner avec plus de précision desmolécules innovantes, tout en déterminant mieux leurs particularités par rapport auxcaractéristiques des premiers neuroleptiques ;
– mais aussi (à partir de travaux qui concernaient surtout, au départ, le mode d’ac-
tion des neuroleptiques, puis de leurs successeurs « anti-psychotiques »), l’essor de voiesde recherche novatrices qui, à terme, parallèlement au développement exponentieldes neurosciences, devaient conditionner largement l’extension du champ d’investi-gation de la psychiatrie biologique.
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